Tahiti Heritage

Naissance de la ville d’Uturoa, à Raiatea

Les pirogues à voiles de Tahaa venant à Uturoa, les jours de marché, vers 1960.

Les pirogues à voiles de Tahaa venant à Uturoa, les jours de marché, vers 1960.

Tahiti Heritage et Vahineitaria vous entrainent dans un petit tour en arrière aux îles-sous-le-vent, et plus précisément dans la ville de Uturoa sur l’île de Raiatea.

La création d’une ville à Raiatea

Les premiers européens appelèrent l’île de Raiatea « Oulietea ». Sa côte nord était appelée par les polynésiens « Outuroa » (la pointe qui dépasse) et la première implantation urbaine fut appelée « Utumaoro ». Tamatoa III le Grand suivant son parent de Tahiti dans sa conversion à la nouvelle foi annoncée par la prophétie de Vaita, fait d’Outumaoro la résidence des serviteurs du dieu dont l’amour infini se passe de sacrifices et de libations.

Lors de l’évangélisation au début du 19ème siècle, les missionnaires ont voulu à tout prix instruire les habitants de Raiatea dans la nouvelle doctrine, mais aussi leur apprendre à lire et à écrire. Malheureusement, l’isolement et l’éloignement des familles rendaient cette tâche fort difficile. On obligea donc les habitants à se réunir dans un même endroit. Le site de Uturoa fut choisi en 1824 par le missionnaire anglais John Williams, de la London Missionary Society.

Le temple et l'école de Uturoa en 1921

Dix années plus tard, en 1834, un rapport peu flatteur fait part de cette installation :

« La mission ainsi que le port principal de Raiatea se trouvent au village de Uturoa au nord-est de l’île. Le site a été bien mal choisi. Tout le district est plat, marécageux et insalubre et les collines réduisent à une très faible surface les terres cultivables, obligeant les habitations à se serrer en bord de mer. Dans tous ses aspects, le village de Uturoa est nettement inférieur à celui de Tevaitoa, au nord-ouest qui pourtant était l’ancien lieu de la mission sous le nom de « Cité de David ».

Un dessin inédit d’Uturoa des années 1875 qui représente les entrepôts de la Société Commerciales d’Océanie, installés à l’Est de la ville  au lieu dit Vaitaporo. Cette société allemande a été la propriété de la famille Godefroy. Actuellement à cet endroit se trouvent les bâtiments de la Brasserie de Tahiti. Coll. Albert Guilloux-Chevalier

Quelques années après l’installation de la mission, de l’administration, les armateurs négociants profitèrent des avantages offerts par le port d’Uturoa. En effet, il s’agit d’un port franc, sans droit de quai, ni surtout de droit d’octroi de mer. Raiatea devient rapidement le centre de productions agricoles destinées à l’exportation.

En 1900 Uturoa est le chef-lieu des îles Sous-le-Vent et abrite la résidence de l’administrateur. Par sa situation sur le chenal et son excellent mouillage c’est aussi le centre du commerce de l’archipel des Iles sous le vent. Malheureusement ce point de l’île est relativement sec. L’eau, abondante partout ailleurs, fait presque défaut à Uturoa.

Uturoa s’agrandit sur la mer

A la fin des années 30, Uturoa, coincée entre mer et montagne, s’élargit doucement en grignotant sur le lagon. A tour de rôle, les hommes de l’équipe de corvée, à l’aide de barres à mine, font tomber la montagne dans des wagonnets qu’ils poussent ensuite jusqu’au rivage où ils les “chavirent”. Tous les Polynésiens et les Farani (Français) de l’île travaillent bénévolement deux semaines par mois au service des travaux publics : remblai, ponts en bois, chemins, route en “soupe de corail”. Sur cette dernière qui s’étend juste sur quelques kilomètres autour de la ville circulent de rares voitures et des tombereaux de coprah tractés par des chevaux. De grands radeaux de bambous charrient le corail jusqu’au rivage où il sèche avant d’être transporté sur le lieu de travail. Les gens aisés payent des travailleurs pour les remplacer.

La rue principale d’Uturoa pavoisée pour un jour de fête à Uturoa en 1940, avec la mercerie Tai Lee, les magasins Léogite, Silloux, Moufat, Alumine (actuel Puchon). Au fond l’ancienne église Saint-Etienne. Photo Tudor Collins, Aukland museum

La rue principale d’Uturoa vers 1965. A gauche, la menuiserie Mou Hing, le magasin Afo, l’atelier de réparation de vélos Boiteaux (Tcheng), les magasins Charles, Roger Sienne, Bu Luc, Lao Shao ( Lachaux). Photo Jean-Claude Bosmel

La rue principale d’Uturoa en 1970. On reconnaît le magasin Léogite en vert à gauche et en face l’hôtel Hinano. Photo Max Bopp du Pont

Eau et électricité

Uturoa manque d’eau. Chaque maison possède un bassin de réserve en ciment. Des gouttières de bambou récupèrent l’eau de pluie dans des tonneaux de vin. La lampe à pétrole éclaire pratiquement chaque habitation de l’agglomération. Une petite centrale électrique fonctionnant à la bourre de coco fournit l’éclairage en ville que quelques heures le soir.

Cinéma et écoles

Le mercredi et le samedi, il y a séance de cinéma avec un western en anglais. Le projectionniste traduit et le spectacle se passe autant dans la salle que sur l’écran. Après le film, les jeunes montent au mont Temehani écouter le “ploc” des tiare Apetahi. Ces fleurs s’ouvrent à l’aube avec un bruit bien particulier et forment un véritable tapis blanc.

Le temple, l’église et leurs classes respectives à un seul niveau veillent sur les éducations en tout genre. Un bon élève chantonne «j’aimerais revoir ma Normandie » sur ordre d’une religieuse nostalgique. Le coquillage circule entre les enfants parlant le tahitien à l’école ; à la fin de la journée, son possesseur reçoit la punition. Les épines d’oursin crayon remplacent la craie au tableau.

Les commerces d’Uturoa

L’activité commerciale très importante d’Uturoa comprend plusieurs magasins, deux cafés, un hôtel de huit chambres, « La Croix du Sud » ainsi que le port où des bateaux de sept mètres de tirant d’eau peuvent accoster. Les Chinois tiennent les commerces, magasins en bas, leur habitation étant située au-dessus, à l’étage.

Les occupations ne manquent pas, les enfants participent au travail. Les magasins ouvrent très tôt et ferment bien tard. On y trouve tout le nécessaire : sucre, farine, riz, lait Nestlé sucré, punu pua ’atoro, tissu, eau de Cologne, savon, tabac de Taravao, pétrole. La vente d’alcool et de vin, très réglementée, nécessite une patente spéciale, car ne boit pas qui veut. Ces vendeurs exercent plusieurs métiers simultanément : boulanger, maraîcher, et surtout préparateur de vanille.

Mercredi, jour de marché à Uturoa

Uturoa, ville généralement plutôt déserte, prend des airs de fêtes le mercredi. C’est le jour du marché. Pour la population des deux îles, ce jour permet des rencontres, des échanges. Certains habitants de Taha’a et des districts de Raiatea arrivent en pirogue à voile ou à rame pour vendre leurs trésors. D’autres préfèrent les goélettes.

Le mardi, les marchands prévoyants empaquettent dans des sacs de papier des doses de un ou deux kilos de produits vendus en vrac : riz, sucre, farine. Tout ce beau monde bien habillé et couronné de fleurs sent bon le “Soir de Paris”, eau de Cologne alors à la mode.

Outre la viande, le saindoux et la peau de cochon grillée sont très appréciés. Tous les produits agricoles, vendus en tas, sont là : fei, bananes, tubercules, légumes, fruits, agrumes, mape… On trouve aussi des poules, des canards, des chapelets de poissons.

Avant 1939, un certain trafic, moins légal, est encore pratiqué : l’opium. Avec la complicité du médecin du bord des messageries maritimes, la marchandise est larguée dans une touque lestée à la hauteur de l’actuel aéroport. Une partie de la drogue se vend sur place, le reste part pour Papeete avec la goélette. Une hausse brutale du prix de l’opium mettra fin à ce négoce.

La vraie signification du mot Uturoa

Uturoa signifie « lèvre allongée » à cause de la forme de sa plage qui part de la nouvelle marina, en face du temple, et se termine à l’extrémité du site de la « piscine ». En 1900 la petite baie formée par les deux platiers a donné le nom de « lèvre allongée ».

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Sources :

René Garenne, Jean des îles. 1985 Ed. Au vent des îles.
Monique Malinau, Raiatea jadis… Tahiti Pacifique n°133, mai 2002


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