Cette légende polynésienne, recueillie en 1920, relate comment les habitants de la petite île de Maiao tuèrent leur chef lorsqu’ils s’aperçurent qu’il avait une sérieuse addiction pour la chair humaine.
Teraatafetu, un chef qui savourait ses hommes
Tamatafetu, le chef de la petite île de Maiao (située près de Moorea), avait mis au point une ingénieuse tactique pour satisfaire ses besoins de chair humaine. Lorsqu’il voulait s’offrir un petit plaisir culinaire, il demandait à l’un de ses hommes d’aller lui harponner quelques poissons, à Tetau un endroit précis du récif de Maiao. Puis dès que l’homme était parti pêcher, Tamatafetu donnait l’ordre à ses hommes d’installer sur le rivage un filet de nape (une corde tressée avec de la bourre de coco) pour attraper l’homme qui pêchait. Celui ci était alors saisi, tué, et porté ensuite à la maison pour y être mangé par Tamatafetu, le chef cannibale !
Se jeter dans le piège pour sauver son frère
Un jour, Fairo, la femme de Tamatafetu, entendit que l’on avait donné à son frère l’ordre de se rendre sur le récif pour harponner du poisson pour le chef. Se doutant d’un piège, elle chercha un moyen de sauver la vie de son frère. Ne trouvant pas d’autre solution, elle se rendit discrètement sur le récif à Tetau et sauta dans le filet tendu par les serviteurs du chef. En se jetant volontairement dans le piège mortel, elle permit à son frère d’échapper à une mort certaine lors de son retour de la pêche.
Dès qu’il vit sa soeur prise au piège, le pêcheur se rendit immédiatement au village informer la population de ces nombreux assassinats commis par les serviteurs pour satisfaire l’appétit de leur chef. Jusqu’alors les habitants de Maiao ne s’étaient pas inquiétés des nombreuses disparitions. Ils étaient persuadés que les pêcheurs qui étaient partis harponner du poisson pour le chef et qui n’étaient pas revenus avaient tout simplement été dévorés par les requins.
Une épilation mortelle
Deux hommes, Mehomeho’ura et Ra’iateanui, qui n’appréciaient guère cette situation déplorable décidèrent de tuer leur chef cannibale et cherchèrent un moyen d’y parvenir discrètement. Ils savaient qu’au sommet de la montagne de Maiao se trouvait un petit bassin appelé Vanavana. Les habitants de Maiao avaient l’habitude de s’installer sur le rocher qui se trouvait au milieu du bassin pour se faire masser ou épiler le menton.
Lorsque l’heure fut venue pour le chef Tamatafetu d’aller se baigner dans le bassin, Mehomeho’ura et Ra’iateanui s’installèrent sur le rocher pour se faire masser et s’épiler. En les voyant totalement détendus, le chef Tamatafetu leur demanda si ces massages étaient réellement plaisants. Ils répondirent ensemble : « Oui, c’est très agréable ».
Là-dessus, le chef leur donna l’ordre d’épiler son menton. Mais au lieu de l’épiler, les deux compères se mirent à lui masser le menton, ce qui le fit tomber rapidement dans un profond sommeil. Lorsqu’il fut bien endormi, Ra’iateanui se saisit d’une lance qu’il avait caché sous une pierre et en plaça une extrémité sous une grosse pierre se trouvant sur un côté du chef. Puis ayant placé le milieu de la lance sur la gorge du chef, il appuya sur l’autre extrémité de la lance, tuant ainsi Tamatafetu.
Le bain de la liberté
Ce même jour, Mehomeho’ura et Ra’iateanui firent le tour de l’île de Maiao. Il y avait un bassin appelé Punarea dans lequel le chef se baignait tous les vendredis lorsqu’il faisait le tour de l’île. Ce mercredi-là, le chef mourut et Mehomeho’ura et Ra’iateanui arrivèrent au bassin de Punarea et sautèrent dans l’eau en s’éclaboussant. Lorsque les gens du voisinage entendirent des bruits d’éclaboussements d’eau, ils appelèrent » Qui joue là-bas dans l’eau ? »
Mehomeho’ura et Ra’iateanui répondirent : « Que dites-vous ? Vos yeux ont-ils été crevés par le Tati’a (un poisson de Maiao) ? » Lorsque les gens s’approchèrent, ils constatèrent qu’il ne s’agissait pas de Tamatafetu le chef cannibale, qui sautait dans l’eau, mais de Mehomeho’ura et de Ra’iateanui. Là-dessus, les deux compères leur apprirent que Tamatafetu, le chef cannibale de Maiao, était mort.
Sources :
D’après la version recueillie par Ben Finney de l’Université de Californie en 1961, publiée dans le Bulletin de la Société des Etudes polynésiennes n°158-159 de Mars-juin 1967. La première version de la légende de Tamatafetu a été recueillie par le missionnaire Charles Barff vers 1820 et fut publiée peu après par William Ellis dans son livre Polynesian Researches. Londres 1831. Vol.1, pp. 360-361.