Découvrez l’histoire de Ruahatu, le dieu polynésien de l’océan, qui mécontent d’avoir été dérangé pendant sa sieste, se vengea en submergeant l’île de Raiatea.
Le réveil de Ruahatu
Il y a bien longtemps après la création du monde, vivaient à Opoa dans l‘île de Raiatea, deux amis d’enfance Teahoroa et Ro’o. Un jour ils s’en allèrent pêcher du coté du récif et arrivèrent à coté d’un petit îlot situé près de la grande passe de Ava Rua, le motu To’a marama (Rocher de la lune), où ils trouvèrent beaucoup de poissons.
Sans s’en rendre compte, ils étaient juste au-dessus de la grotte de corail où habitait Ruahatu Tini Rau, le dieu de l’océan. Ro’o et Teahoroa jetèrent leurs lignes, des hameçons attachés à des pierres, mais l’une d’entre elles tomba sur la tête de Ruahatu. Celui-ci se réveilla en sursaut et, en passant sa main dans ses cheveux, il saisit brusquement la pierre et l’hameçon. Ro’o et Teahoroa voyant les secousses violentes de la ligne crurent que c’était un poisson qui se débattait. Ils remontèrent la ligne et tout à coup, ils aperçurent des cheveux longs et épais qui étaient pris dans l’hameçon. Ils prirent peur et s’écrièrent « Malheur à nous c’est un homme et pas un poisson ! C’est un monstre des profondeurs. Nous sommes perdus ! »
Ruahatu par Bobby
La vengeance de Ruahatu
Ruahatu se hissa dans la pirogue et regarda les deux hommes d’un air mauvais, puis leur demanda « Qui êtes-vous tous deux ? »
Teahoroa répondit : « Nous sommes Ro’o et Teahoroa ! Nous sommes fautifs d’être venus sur ce lieu sacré pour y pêcher, mais pardonne-nous ! Nous ne reviendrons plus ! ». Alors Ruahatu demanda « Avez-vous des parents dans le pays ? »
« Oui nous avons des parents à Opoa et c’est pour cette raison que nous sommes venus ici, à To’a marama, pour pêcher. »
« Avez-vous des femmes dans le pays ? »
« Oui, nous avons des femmes dans le pays. »
« Avez-vous une famille royale ? »
« Oui, nous avons une famille royale. »
« La princesse Airaro qui est chérie des dieux de l’océan est-elle là ? >
« Oui, elle est là ».
« Avez-vous des enfants dans le pays ? »
« Oui, nous avons des enfants et des petits-enfants. »
Raiatea sera submergée par la mer dès ce soir
« Je suis fâché après vous parce que vous m’avez dérangé, vous m’avez fait du mal » dit Ruahatu qui leur annonça alors sa terrible vengeance : « Raiatea sera détruite toute entière. Elle sera submergée par la montée de la mer. Je ne couperai pas seulement les extrémités des branches, je déracinerai tout. Cette nuit je submergerai le mont Te Mehani. C’est moi Ruahatu, Dieu du puissant Océan ! ». Mais Ruahatu, qui était amoureux de la princesse Airaro, précisa toutefois « Tous ceux qui viendront se réfugier sur le motu To’a marama seront sauvés. Ne vous attardez pas ! »
Ro’o et Teahoroa reprirent le chemin d’Opoa et un sentiment d’angoisse les envahit tandis qu’ils allaient prévenir leurs familles, leurs femmes, leurs enfants et leurs petits-enfants ainsi que la famille royale. Comme ils s’approchaient du rivage, les gens s’aperçurent que leurs cheveux se dressaient sur leur tête, tellement ils avaient peur. Ils déclarèrent à la foule sur la plage « Venez, rendez vous tous immédiatement sur le motu To’a marama pour vous y réfugier. Le dieu Ruahatu nous a chargé de vous dire que personne ne doit rester sur l’île cette nuit. Par notre faute nous avons provoqué sa colère et bientôt le mont Te Mehani sera sous la mer. Personne ici ne sera épargné. Seuls les humains, poulets, chiens, cochons et rats qui se rendront sur le motu To’a marama seront sauvés. »
L’arche To’a manava
Les deux hommes retournèrent rapidement chez eux et firent embarquer dans leurs pirogues tous les membres de leur famille qui voulurent bien donner foi à cette incroyable nouvelle. Ils emmenèrent également un couple de chaque animal qui vivait sur l’île : cochon, chien, coq et rat… De leur coté, le roi Tane Upoto et sa fille Airaro réunirent rapidement tous les membres de la famille royale. Ainsi tous ceux qui avaient cru au message de Ruahatu, le dieu du puissant océan, embarquèrent dans leurs pirogues et, sous le commandement de la princesse Airaro, ils partirent se réfugier sur le motu To’a marama. Mais d’autres habitants ne voulaient pas y croire et en riaient. Certains s’en moquaient, d’autres faisaient la sourde oreille. Ils étaient comme les oreilles des figures de proue, de sorte que les paroles de Ro’o et de Teahoroa ne pouvaient entrer dans leurs oreilles. Tous les oiseaux, araignées et insectes, ombres des dieux furent emportés dans le ciel par leurs dieux respectifs.
Le déluge
Au bout de quelque temps la population entendit le murmure de la mer, le craquement des branches brisées par les vagues et le bruissement du corail, ainsi que le grondement de la mer qui recouvrait petit à petit le récif. Leur lieu de refuge, le motu To’a marama, était semblable à un bateau, une arche, au milieu de l’océan. Il resta sec grâce à la présence de la princesse Airaro, chérie du dieu de la mer. Au fur et à mesure que la nuit s’avançait, la mer grondait et s’élevait au-dessus de la terre. Lorsque la lune se leva, ils constatèrent, que le mont Te Mehani était complètement submergé, on ne voyait plus qu’un océan lisse. Mais le petit motu sur lequel ils se trouvaient ne fut pas atteint par la mer. II resta exactement comme il était.
Tout a été balayé par la mer
Tous tombèrent alors dans un profond sommeil qui dura jusqu’au jour. Le matin, à leur réveil, ils aperçurent la mer qui retournait à l’océan. Dans la matinée, la marée fut basse et le récif sortait de l’eau. La mer était si calme qu’on n’aurait jamais cru qu’elle avait été si furieuse quelques heures plus tôt. Les gens regardèrent vers la terre et virent que toutes les branches étaient brisées et que de nombreux arbres étaient déracinés. En s’approchant en pirogues, ils aperçurent des rochers couverts de vase, des branches de corail et des poissons morts, ainsi que des coquillages de toutes sortes sur la plage. Il n’y avait personne à l’intérieur de l’île, ils avaient tous été balayés par la mer. Il n’y avait plus de maisons, les temples s’étaient écroulés, plus d’oiseaux qui volaient, pas de cochons creusant la terre, pas de coqs chantant, pas de chiens courant à droite et à gauche et pas de fruits sur les arbres. Tout était désolé, tout était nettoyé. Les pentes des collines et les terrains élevés étaient couverts de choses mortes, de coquillages, de branches, de corail et de rochers. Les rescapés rentrèrent dans leur pays à Opoa et se trouvèrent sans nourriture. Ils durent manger de la glaise rouge et du poisson, ce qui leur sauva la vie.
Le renouveau
En une nuit les arbres se remirent à bourgeonner et au bout d’un mois le pays retrouva son manteau de verdure. Alors toutes les nourritures vinrent en leur saison. Ainsi furent épargnées la famille royale et la population qui était issue de la période des ténèbres, ainsi que les animaux du pays. Le pays fut repeuplé par eux. Les oiseaux, les araignées et insectes furent envoyés des cieux à leurs emplacements respectifs, et, au bout de peu de temps, le pays était dans l’état où il se trouvait avant d’être submergé.
Ruahatu et le déluge d’après Paul Gauguin
Paul Gauguin :
“Ruahatu lui dit d’aller sur le To’a Marama qui d’après les uns est une pirogue, d’après les autres une île ou une montagne, mais que je nommerai Arche, remarquant seulement que To’a Marama signifie Guerrier de la Lune, ce qui me fait supposer que l’Arche quelconque et l’ensemble de l’événement du cataclysme ont quelque rapport avec la Lune…”
Sources :
D’après la légende récitée en 1822 par Paora’i et Vai’au, prêtre de Bora Bora ainsi que par Paoraro, prêtre de Raiatea, transcrite par Teuira Henry dans Tahiti aux Temps anciens.
Photos : Storn à Tahiti. Steve Kuo Tahitiscape Photography