Le mont Tapioi se trouve à Uturoa sur l’île de Raiatea. A son sommet, si le temps est favorable, on peut admirer les couleurs magnifiques du lagon de Taha’a et de Ra’iatea et observer les îles Sous-le-Vent. A droite Huahine, devant Taha’a puis à gauche Bora Bora et Maupiti.
Le mont Tapioi doit son nom à l’histoire d’une jeune femme qui adorait son petit garçon qu’elle avait adopté, que son mari par jalousie tua. La vengeance de Haamana sera chaude. Très chaude !
Hereria le bien aimé
Il y a longtemps, très longtemps, vivait une belle femme du nom de Haamana. Elle avait perdu son père et sa mère. Comme elle était seule, elle adopta un petit garçon qu’elle aimait comme un frère. Il se nommait Herehia (bien-aimé). Un jour, un homme vint à passer, vit les beaux yeux de Haamana, et la prit pour femme. Il se nommait Tapi.
Bien des lunes après, le ménage marchait à merveille, mais (et il y a toujours un mais) comme Haamana avait beaucoup plus d’affection pour son fils Herehia, Tapi fut jaloux de celui-ci et voulut le tuer.
Mais, comment le tuer sans que sa femme s’en doute ? Il chercha et, peu de temps après il trouva un moyen. Le voici : Il construisit une cabane. Ensuite il alla chercher plusieurs régimes de bananes, les mit à l’intérieur pour les faire mûrir. Lorsque tous ces régimes furent suspendus sur des traverses, il ferma la cabane, y mettant le Tapu à la porte. Quelques jours plus tard les bananes commencèrent à mûrir, leur parfum embauma toute la cabane et se répandit dans tout le quartier. Ce qui attira le petit Herehia. Celui-ci chercha d’où venait l’odeur ou plutôt l’endroit où se trouvaient les bananes mûres. Ce ne fut pas difficile puisque la cabane était à quelques dizaines de pas de leur habitation. Il alla donc devant la porte, et se mit à la tirer de toutes ses forces. Celle-ci céda, car elle n’était pas bien solide. Une fois la porte ouverte, il entra. Que vît-il ? De belles bananes délicieuses d’un jaune tacheté. Quelle joie ! Il en cueillit et en mangea tant qu’il put.
Pendant ce temps, Tapi se cachait derrière un arbre guettait le petit et s’approcha de la cabane pour regarder à travers les bambous ce qui se passait à l’intérieur. Au moment propice il y entra, prit l’enfant, le tua et le suspendit tout en haut avec une corde.
Les recherches
Le soir, Haamana s’aperçut de l’absence de son fils adoptif Herehia. Elle l’appela, le chercha partout, demanda aux voisins s’ils n’avaient pas aperçu le petit garçon. Ils lui répondirent qu’ils ne l’avaient pas vu dans la journée. Elle le chercha encore longtemps. Pendant ce temps Tapi fit la sourde oreille. Lorsque sa femme lui demandait des nouvelles du petit, il lui répondait : Est-ce mon affaire de le surveiller, c’est à toi à faire attention à ton bien-aimé, car il était très jaloux de Herehia à cause de la grande tendresse que Haamana lui prodiguait.
Enfin elle eut l’idée d’aller voir dans la cabane où étaient enfermés les régimes de bananes. Elle y entra avec un flambeau, regarda partout, et que vit-elle accroché tout en haut ? Son petit Herehia pendu à l’une des traverses. Quelle horreur ! Elle grimpa pour le détacher, et le déposa sur le sol. Puis elle le prit dans ses bras et pleura : « Mon fils bien-aimé ! Mes entrailles bouillonnent de douleur ! O mon Herehia, tu seras vengé ! » Elle tressa un panier en feuilles de cocotier (ha’ape’e) et mit le corps de son fils à l’intérieur.
Dès la pointe du jour, elle chargea le précieux fardeau sur son dos et fit le tour de l’île de Raiatea, à pied, en criant sa douleur et sa haine pour Tapi.
Le ahi maa (four tahitien)
Alors que Haamana parcourait l’île. Tapi débordait de joie. Il chargea ses amis d’arracher du kava pour préparer leur boisson favorite à l’occasion de cet évènement. Les jeunes filles se mirent à mâcher les racines en rejetant le jus dans un grand umete (grand bol en bois ou en pierre). La boisson ainsi préparée Tapi se mit à boire avec ses amis.
Le soir, Haamana arriva, déposa le corps de son fils adoptif dans une grotte. Elle vit Tapi et ses amis couchés par terre enivrés de kava. Elle appela tous ses gens et leur dit : « Mes amis, préparez un grand four (ahi maa) ».
Tous se précipitèrent pour prendre des pierres et du bois destinés à cet effet, ainsi que les feuilles de cocotier et de bananier servant à couvrir le four. Quand le four fut terminé, les gens lui demandèrent où se trouvait le cochon destiné pour ce festin. « Ne vous en faites pas. Il est quelque part par là. »
Ils se demandaient si elle n’avait pas perdu la tête. Une heure plus tard lorsque le four fut bien chaud, ils se présentèrent à nouveau devant elle : « Belle Haamana, nous voulons voir le cochon pour pouvoir le tuer car le four est prêt. » Haamana se leva et dit : « Gens d’Uturoa, –i-te-rere-a-fara aplatissez le four, je vais vous montrer le cochon, approchez ! »
Ahi maa, Four tahitien. Photo Georges Spitz. Vers 1887.
Ils s’approchèrent d’elle. Haamana se leva et se dirigea vers l’endroit où Tapi était couché. Elle dit à ses hommes : « Voici le cochon dont je vous parlais, prenez-le », (prendre ou attraper = Tapi). Ils le prirent. « Mettez-le dans le four ! ». Les gens le mirent dans le four. Haamana cria : « Retournez- le bien dans tous les sens ! » Ils le retournèrent dans tous les sens sur les pierres chaudes, (retourner ou remuer = oi).
Ce qui forma le nom Tapi-oi : c’est-à-dire « Attraper, Retourner ».
Pour couvrir ce four, les gens de Haamana prirent de la terre en creusant aux alentours du four à Varipao (Vari = terre ou houe, pao = creuser). Aujourd’hui cette terre s’appelle à tort VAIPAO.
Et, à cause de la grande chaleur du four, la terre qui couvrait le four commença à fondre et coula sur les bois. D’où le nom de Vari-tahe (Boue ou terre qui coule) qui a aussi subi une transformation : Vaitahe.
Sources :
Emile TERIIEROO HIRO. Le Tapioi, légende racontée par Taraupoo de Vaitoare. Société des Etudes Océaniennes Bull n°142 – mars 1963 – p 211
Photo : Le village d’Uturoa et le mont Tapioi vers 1930