Tahiti Heritage

Légende de Huriitemonoi, la mystérieuse princesse de Mangareva

Paul Gauguin, Te arii vahine 1896. Musée de l'Ermitage

Paul Gauguin, Te arii vahine 1896. Musée de l'Ermitage

Cette légende polynésienne nous raconte que dans une mystérieuse île, vivait une princesse merveilleuse, Huriitemonoi. Son nom signifiait : « Celle qui verse l’huile parfumée ». Sa beauté était si grande que tous les rois envoyaient des émissaires sur le Grand Océan pour découvrir ce mystérieux royaume où elle demeurait et la demander en mariage pour leurs fils. Mais toutes les expéditions se perdaient corps et biens.

Une mystérieuse princesse

A la même époque, vivaient à Tahiti le roi Manua et sa reine Matutere. Ils avaient deux filles et quatre fils. Un jour, les deux sœurs firent le même songe. Un grand oiseau blanc les emmenait au dessus d’une île où elles pouvaient ressentir la présence vibrante de la mystérieuse et introuvable princesse. Le lendemain matin, à l’aube, l’ainée Pua dit à sa jeune sœur Meto : – Allons prévenir nos parents et nos frères de la fantastique nouvelle !
Tous étaient déjà sur le marae familial pour rendre hommage à leurs tiki protecteurs. Pua leur annonça : – Nous avons eu une vision ! L’île où demeure la princesse mystérieuse est toute près d’ici. Il s’agit de Mangareva. Allez-y mes frères, ta princesse si convoitée deviendra l‘épouse de celui qui se sera montré digne d’elle.
L’aîné, Muava’a avait très peur. Il répondit : – Tant de forts et vaillants prétendants sont partis pour la retrouver et ont disparu en mer, certainement dévorés par le gardien de Mangareva, le grand requin-tigre !
Le deuxième frère Rotova’a murmura : – Il y a d’autres monstres marins que nous risquons de rencontrer pour notre malheur !
Le troisième frère Otiva’a rajouta : – Les tempêtes et les cyclones pourraient nous engloutir !
Leurs soeurs les rassurèrent : – Ayez confiance, les dieux nous ont montré l’île paisible où vous attend la plus douce des vahine.
Le quatrième frère, Tuihanipotii, s’avança et dit : – Nous sommes sous la protection des dieux. Ne les insultons pas en doutant d’eux!  Préparons-nous et embarquons le plus rapidement possible.

En route pour Mangareva

Ils construisirent une grande pirogue et, sur le pont, quatre abris pour les quatre frères. Cette pirogue fut baptisée Uruehau (Forêt de paix) et fut chargée de nourritures et de présents dignes de la princesse. Un vent favorable les guida rapidement vers Mangareva, l’île fameuse pour ses perles et nacres aux couleurs irisées.

L’après-midi de leur arrivée, la princesse Huriitemonoi se reposait sur la plage, face au lagon par où arrivaient tous les bateaux. Elle eut une vision et dit à Hinatepiropiro, (Hina à la mauvaise odeur), sa suivante qui se tenait près d’elle : – Une pirogue arrive où se trouve mon futur époux. Reçois ces princes de Tahiti avec tous les honneurs qui leur sont dus. Je pars dans la forêt me parer de fleurs et de fougères odoriférantes.

La plage d'Aukena, au Gambier, la plus belle plage du monde

La plage d’Aukena, au Gambier

Hinatepiropiro se fait passer pour la princesse

Hinatepiropiro, la servante resta seule sur la plage guettant une voile à l’horizon. Cette Hina était très ambitieuse et très jalouse de la princesse. Elle se dit que si elle en avait le costume, elle pourrait se faire passer pour une arii, quelqu’un de la caste royale.
– Vite, vite, je dois aller dans le bain royal où bouillonne l’eau chargée du mana des aristocrates.

Sortant du bain, elle constata avec effroi que son odeur n’avait pas changé. Elle s’immergea encore et encore dans le gigantesque coquillage qui était rempli d’eau magique et vivifiante. Puis, prenant la gourde de sa maîtresse, elle s’enduisit tout le corps avec le monoï préféré de la princesse. Elle mit les vêtements royaux en fin tapa (tissu végétal) et ceignit la ceinture ancestrale de la famille royale de Mangareva. Elle venait à peine de se coiffer de la couronne royale qu’elle entendit le léger glissement de la pirogue qui fendait l’eau paisible du lagon et venait accoster sur la plage.

Les trois frères aînés descendirent à terre, les bras chargés de cadeaux. Le jeune prince Tuihanipotii était resté à bord pour garder l’embarcation. Muavaa, Rotova’a et Otiva’a se dirigèrent vers la jeune fille merveilleusement habillée qui leur faisait signe de venir vers elle. Hinatepiropiro les installa confortablement sur les nattes tressées déroulées sur le sable et leur souhaita la bienvenue. Elle leur annonça qu’elle les attendait impatiemment pour choisir son époux parmi les trois princes. Les frères furent remplis de respect face à cette femme qui avait prévu leur arrivée et connaissait déjà son destin.

Puis l’usurpatrice se leva et leur dit : – Au nom Je tous les miens, je vous remercie pour vos nombreux présents. Mais une malédiction s’est abattue sur l’île et nous devons nous hâter de partir. De nombreux esprits malfaisants ont déjà fait disparaitre mes parents et une grande partie de la population. Ils ne vont pas tarder à arriver pour nous dévorer avant le coucher du soleil.

Les princes apeurés à l’idée de subir ce triste sort s’empressèrent de retourner à bord de leur pirogue avec la fausse princesse. Pendant ce temps, Huriitemonoï la vraie princesse finissait ses couronnes de fougères et ses colliers de fleurs. Elle vit un grand oiseau blanc se poser devant elle. Il lui dit : – Hâte-toi, hâte-toi de rejoindre le rivage !

Qui est la vraie princesse ?

Elle courut en tenant ses couronnes et ses colliers serrés sur sa poitrine haletante et arriva sur la plage pour voir la pirogue toutes voiles dehors sortir de la passe dans le rougeoiement du soleil couchant. Rejoignant l’endroit où sa servante l’attendait, elle vit que ses vêtements ainsi que tous ses bijoux royaux avaient disparu. Elle n’eut pas besoin d’appeler Hinatepiropiro pour comprendre que celle-ci avait abusé de sa confiance pour prendre sa place.

Elle bondit sur sa planche et se mit à glisser sur l’eau du lagon puis, arrivant en vue de la passe, elle chanta les chants de ses ancêtres, ceux qui calment la houle. Ayant franchi la barre sans encombres, Huriitemonoï se mît à pagayer avec vigueur pour faire avancer sa planche quand la nuit l‘environna. Elle perdît de vue la voilure de Uruehau, la pirogue de Tahiti. Le vent tomba et la princesse nagea toute la nuit. Au petit matin, le soleil levant lui fît découvrir la pirogue derrière elle. Elle se dirigea vers la proue du bateau où les quatre frères qui l’avaient aperçue s‘étaient groupés plein d‘admiration pour cette nageuse résistante et tenace et dit : – Muava’a accueille-moi sur ta pirogue !

Il ouvrit ses bras pour la hisser hors des flots quand Hinatepiropiro se précipitant furieuse lui dit : – Cette créature est un esprit malfaisant du fond des mers. Elle vient nous attirer dans les abysses pour dévorer nos âmes.
Muava’a se releva apeuré. – Rotova’a, accueille-moi sur ton navire ! demanda Huriitemonoï au second frère. Il se pencha vers elle mais Hinatepiropiro lui cria : – Ne fais pas monter à bord ce fantôme dévorant des ténèbres, et il recula.
S’adressant au troisième frère, la princesse lui dit : – Otiva’a accueille-moi sur ta pirogue !
Mais la perfide Hinatepiropiro s’interposa : – Je t’ai prévenu, si tu fais monter à bord ce monstre envoûteur, c’est notre fin à tous !
Le prince effrayé fît pas un pas en avant en direction de la nageuse qui commençait à dériver loin du navire. Huriitemonoï cria au plus jeune prince : – Ô Tuihanipotii prends-moi à bord de Uruehau, la forêt de paix, je ferai de toi le plus comblé des maris !
– Qui es-tu en vérité ?
– Je suis Huriitemonoï, la princesse que tu es venu chercher à Mangareva. Cette autre femme est ma servante, elle a usurpé ma place et sème le doute en vous !

Le jeune homme ressentit dans son cœur que cette femme intrépide et courageuse disait la vérité. Il lui lança une longue corde et l’aida à prendre pied sur la pirogue. Puis, la tenant par la main, il la fit pénétrer dans son abri. Il s’empressa de lui donner des vêtements secs, de la nourriture et partit lui chercher de l’eau douce et fraîche. Il rejoignit ses frères à l’arrière de la pirogue et constata comme eux qu’un calme surnaturel régnait : la mer était immobile, plus une vague, plus un souffle de vent dans les voiles et pas un seul oiseau dans le ciel. Ils crurent à un sortilège maléfique.

Le pagne magique

Hinatepiropiro leur dit que son pagne magique allait rompre cet ensorcellement malfaisant. Par trois fois elle secoua le pareo qu’elle avait dérobé à sa maîtresse. Une odeur nauséabonde emplit l’air. Les princes se bouchèrent le nez et lui demandèrent : – Quelle est cette puanteur qui nous entoure ?
La rusée menteuse leur répondit : – En partant j’ai emporté par erreur le pagne d’une servante ! Mais le plus jeune frère alla chercher Huriitemonoï. Celle-ci s’avança et secoua elle aussi par trois fois son pareo en chantant d’une voix légère le chant sacré des prêtre-marins de Mangareva : « L’alizé se lève, les vagues dansent, les voiles se gonflent »

Le vent royal de Mangareva se lève

Une douce effluve se répandit dans l’air, les bannières en haut du mât se mirent à flotter dans le vent. Huriitemonoï les bras levés remercia Maoa’e, Ie Vent royal de Mangareva. Hinatepiropiro l’usurpatrice comprit rapidement que devant un tel prodige, les frères allaient découvrir son imposture. Elle se précipita vers eux et leur cria : – Vite, débarrassons-nous de ce démon cette femme n’est autre que Feematotiti, le mauvais esprit, la pieuvre des récifs de Mangareva ! Elle m’a volé mon pagne magique et mon parfum enchanté et nous entraîne sans pitié vers les plus effroyables dangers !

Avant que le jeune Tuihanipotii ait eu le temps de s’interposer, ses frères se saisirent de Huriitemonoï et la précipitèrent sans pitié dans les vagues. Celles-ci commençaient à grossir, agitées par un vent qui s’était soudainement mis à tourbillonner avec force autour du bateau. Le soleil s’obscurcit, caché par de lourds nuages noirs.

Impossible pour le prince Tuihanipotii de savoir dans quelle direction dérivait la princesse. Il était éperdu de tristesse quand une douce voix murmura près de son cœur : – Attends-moi, je reviendrai !

La pirogue arrive à Tahiti

Tout le jour et toute la nuit, le vent propice se leva et les guida. A l’aube, les frères soulagés purent voir au loin les grappes de nuages blancs accrochés aux montagnes de Tahiti. Gonflant fort leurs poitrines, ils soufflèrent dans les conques, pu, pour prévenir les guetteurs de leur arrivée.

Des pirogues vinrent à leur rencontre chargées de guerriers, de prêtres et de musiciens pour les accompagner à travers la passe jusqu’à la plage où les grands peue (tapis végétal) de bienvenue avaient été déroulés.

Le roi Manua et la reine Matutere se tenaient majestueusement assis sur leurs trônes portés par de puissants guerriers entièrement tatoués. Les deux sœurs, Pua et Meto parées de leurs plus beaux habits et les bras chargés de colliers de tiare vinrent à la rencontre de leurs frères et de la mystérieuse princesse. Mais au lieu de marcher noblement sur les nattes déroulées à son intention, la princesse tant attendue préféra les contourner et marcher sur le sable. Les deux soeurs se regardèrent étonnées et Pua dit : – Celle-là n’est pas fille de roi !

Les trois frères aînés répondirent que la princesse faisait cela car elle était humble et réservée et que tant d’honneurs l’intimidaient.

Pua et Tuihanipotii partent à la recherche de la princesse

Entendant ce discours, Tuihanipotii raconta le départ précipité de Mangareva et tous les évènements de la traversée.

Le roi, la reine et toute la cour étaient hésitants devant la conduite à avoir envers la princesse. Mais Pua, la fille ainée du roi, prenant son jeune frère à part lui dit : – Viens, allons nous deux maintenant sauver Huriitemonoï. Elle est la vraie fille du roi de Mangareva. Partons immédiatement à l’endroit où tes trois frères envoûtés par les charmes de l’usurpatrice Hinatepiropiro l’ont rejetée à la mer !

Ils embarquèrent sur Uruehau, la forêt de paix et levèrent les voiles de tapa en pagayant vigoureusement vers la passe qui s’ouvrait sur le Grand Bleu. Arrivés en pleine mer, le vent se leva, gonfla les voiles et fit glisser la grande pirogue sur une houle puissante. Un jour passa.

Au matin suivant, ils atteignirent un endroit où l’eau bouillonnait, formant des spirales irisées ; puis tout alla très vite. Ils se retrouvèrent entourés de murailles d’eau chargées d’écume. Une fraîche odeur d’algue s’éleva et un brouillard ténébreux les entoura peu à peu. La mer tourbillonnante se sépara en deux de chaque coté de la pirogue. Ils aperçurent les roches rouges et déchiquetées du fond de l’océan au travers de l’eau devenue aussi calme que celle d’un lagon accueillant. Pua étendit sur la mer un peue de pandanus finement tressé. Elle répandit quelques gouttes du monoï sacré contenu dans la gourde de Huriitemonoï que Hinatepiropiro avait oublié à bord du bateau.

Immédiatement après, un énorme squale, Tamaopurua, taura (totem) de la famille des lignées royales de Mangareva creva la surface de l’eau. Il avait à sa droite Tonumavaha le poisson-tigre et sur sa gauche Roi, le mérou céleste. Le dieu-requin ouvrit son immense mâchoire et déposa délicatement Huriitemonoï endormie sur la natte qui flottait. Tuihanipotii dont Ie cœur empli d’amour s’était mis à battre rapidement enlaça sa bien-aimée et la hissa avec tendresse à bord de la pirogue.

Les trois poissons sacrés qui étaient à présent entourés d’une multitude d’autres animaux des fonds marins s’enfoncèrent dans les profondeurs de l’océan. Les murailles d’eau qui les cernaient s’aplanirent et le soleil radieux les inonda de sa douce lumière et de sa chaleur pénétrante.

L’arrivée à Tahiti

Celle-ci descendit de la pirogue et avançant majestueusement sur les nattes déroulées devant elle, salua tous ceux qui étaient venus l’accueillir. Une douce brise parfumée se répandit dans l’air sur son passage. Les nobles, les prêtres et les gens du peuple se découvrant les épaules se prosternaient devant elle. Tous sentaient cet envoûtant parfum qui l’entourait. Puis, arrivée devant le roi et la reine, elle leur dit les paroles qu’entre eux les aristocrates savent échanger. Elle parla de ses ancêtres, récita sa généalogie qui faisait remonter ses aïeux au tout début de la création du monde et remercia la famille royale, la cour et tous les habitants de Tahiti pour leur chaleureux accueil.

Les jours passèrent sereins et tranquilles comme il est d’usage à Tahiti. Muava’a, Rotova’a qui avaient rejeté Huriitemonoï essayèrent de la séduire. Mais le cœur de la princesse était fidèle, fidèle à Tuihanipotii. Elle refusa leurs demandes de fiançailles. Ceux-ci, humiliés, allèrent voir Hinatepiropiro pour lui demander conseil. La servante traîtresse leur conseilla de se débarrasser de leur jeune frère. Ils l’invitèrent à la chasse et tentèrent sans succès de le précipiter dans un profond ravin. Ensuite, ils organisèrent un concours de tir à l’arc où ils essayèrent vainement de le transpercer de leurs flèches. Puis au cours d’une partie de pêche en pleine mer, ils l’assommèrent, le précipitèrent à l’eau et l’abandonnèrent en étant certains qu’il se noierait.

Le monoï, élixir de jouvence

Mais les esprits tutélaires qui protégeaient Tuihanipotii le transportèrent sur la plage, en sécurité et toujours évanoui. Ses sœurs prévenues par les dieux le ramenèrent à la vie en l’enduisant de monoï tout en lui chantant doucement de vénérables chants sacrés. Devant tant de prodiges, les trois frères ainés se réconcilièrent avec Tuihanipotii, le désignèrent comme Roi du Nord de Tahiti et lui jurèrent fidélité éternelle.

Hinatepiropiro, la servante menteuse et cruelle s’enfuit du village et ne revint jamais. Le mariage de la reine Huriitemonoï et du roi Tuihanipotii fut célébré dans la joie et l’allégresse. Toute l’île fut en liesse, la fête dura des jours et des jours et l’harmonie s’installa pour longtemps surtout le territoire.

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Sources :

Illustration :  Paul Gauguin, Te Arii Vahine. Huile sur toile, 97 x 130 cm, 1896, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.

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