Le chef de Ua Pou avait le pouvoir de transformer les crânes et os des cochons qu’il mettait au four en de délicieux cochons rôtis. Le chef de l’île voisine de Hiva Oa décide d’aller sur place pour vérifier ces dires. Mais tout ne se passe pas comme prévu, et pour affirmer sa suprématie le roi de Hiva Oa appelle son cochon géant Makaiaanui qui traverse la mer pour le rejoindre… Découvrez cette grande légende marquisienne !
Le puissant mana de Toaetini
Autrefois, vivait dans la vallée de Hakamoùi dans l’île de Ua-Pou, un chef de grande renommée dans tout l’archipel de la terre des hommes. Celui-ci se prénommait Toaètini. On disait de lui qu’il avait un grand pouvoir. Lorsqu’il demandait à ses oiseaux d’aller chercher de l’eau, ceux-ci exécutaient sans rechigner. Lorsqu’il leur demandait d’aller pêcher de la bonite, ils y allaient. Le plus surprenant c’est lorsqu’il cuisait les os de cochons qu’on avait préalablement jetés dans les fougères, il réussissait à avoir de la viande avec la graisse sur ces os.
Un jour, la nouvelle de ce pouvoir arriva à Hiva-Oa dans la vallée de Hanapaaoa. La population murmurait d’admiration en disant ceci : – C’est incroyable, quel pouvoir il a ce grand chef de Atipapa du nom de Toaètini. Par des incantations, il peut transformer les os et le crâne d’un cochon jeté dans la brousse en viande, après cuisson.
Akau’i à Ùa Pou
La nouvelle arriva aux oreilles du grand chef Akauì de Hiva Oa, qui interrogea sa population du village : » Etes-vous sûrs ? Si c’est ainsi, j’irai à Ua-Pou, j’irai voir, j’irai m’assurer si ce qui se dit est bien réel ». Akauì accompagné de ses hommes, rama sur sa pirogue jusqu’à la baie de Hakamouì, et fit tirer sa pirogue double sur le sable. Le messager de Toaètini était là pour l’accueillir.
Mave mai, mave mai, mave mai e te tauà nui o Hivaòa , taha mai.
Bienvenue, bienvenue à toi le grand chef de Hivaòa, viens !
Toaetini lui répond en souriant : « Allons à Kiikiipukeā, où vous pourrez prendre un bain et vous reposer de votre voyage ». A l’aube, le chant du coq s’élèva de toute part. Akau’i demanda à Toaetini : « A quelle heure, ami, commencerons-nous notre travail ? »
– « Tout à l’heure, quand nous verrons le soleil au-dessus du piton de Poumaka (photo), nous commencerons. »
Ils montèrent jusqu’au upe Menaha où Toaètini les laissa pour aller voir son peuple : « Allez ramasser les os de cochon ainsi que les crânes que vous trouverez dans les fougères. Prenez aussi du bois. » La population s’exécuta. Les pierres du four furent retirées pour mettre les têtes de cochons et une fois le four recouvert, le chef Toaetini fit des incantations.
Un kava empoisonné
Quelques femmes préparèrent le kava pour accompagner le repas. Elles mirent ce qu’elles avaient mâché dans les coupes. Ensuite Toaètini demanda à ses oiseaux d’aller chercher de l’eau. Mais ils ne bougeaient pas, restaient immobiles par terre. Il leur demanda ensuite d’aller pêcher les atu, les bonites. Ils ne bougeaient toujours pas. Toaètini dit alors : « Je ne comprends pas pourquoi mes oiseaux ne veulent plus m’obéir.
Ce n’est pas grave, je vais donner l’ordre aux deux filles Kai koputu derrière le mont Oave pour qu’elles nous apportent de l’eau dans notre coupe pour que nous puissions boire notre kava. Il fit donc une incantation :
No nā moì kai kōputu mei te tua o Oàve,
Murērē hatitō, murērē hatitō, murērē hatitō
Tau e titi e hō
Bol de Kava, poivrier enivrant
Akauì comprit alors ce qui allait se passer. Il détacha sa fronde de la taille, la chargea, visa la branche de pua sur laquelle étaient perchées les deux filles kai koputu, la brisa. Les deux filles kai koputu en se balançant de derrière le mont Oàve atterrirent deux vallées plus loin. Leur urine (qui pouvait tuer) heureusement ne pu arriver jusqu’au bol de kava d’Akauì. Toaètini dit alors : « Ah ! tout va mal ! »
Le mana de Toaetini disparaît
Quelque temps après, Toaetini dit : « C’est le moment maintenant de retirer nos paquets du four. » Le four fut alors ouvert et dévoila des crânes et os brulés, sans chair ! Akau’i dit alors : « Tu disais avoir du mana ! Mais qui pourrait transformer des têtes de cochons où les fougères ont poussées en têtes recouvertes de chair une fois cuites au four ? » Toaètini reconnut alors qu’il avait perdu tout son pouvoir, son mana. Akauì dit à Toaètini : « Ne sois pas surpris, mon cochon est le vrai, regarde, j’irai à la plage, je monterai à Poumakiō, tu entendras, tu verras… » Il descendit, et monta jusqu’en haut de Poumakiō. Akauì cria :
« Makaiaanui e, tuu puaa nui, me mai, me mai, kau mai. »
« Makaiaanui, Makaiaanui, mon gros cochon, viens, viens, nage jusqu’ici. »
La traversée de Makaiaanui
Le cochon grogna : « Humm ! »
Il orienta son groin sur vers Fatu iva, Tahuata, Ùa Huka puis Nuku Hiva : aucun appel. Alors Makaiaanui tourne ses oreilles vers Ua Pou. Akau’i l’appelle encore : « Hé, Makaiaanui, viens ici ! »
Il sortit de son parc, arriva au rocher sur la plage, prit son élan, et sauta à l’eau. L’empreinte de sa patte resta gravée sur le rocher. Il nagea, nagea jusque dans la baie de Paaumea. Pendant qu’il nageait, des bonites (des atu), et des carangues se sont accrochés à ses poils. Lorsqu’il arriva, il resta immobile ne sachant quelle route prendre pour rejoindre son maitre. Alors il désigna un rocher, l’élargit d’un coup de groin. C’est ainsi qu’on nomma cet endroit la dent de Makaiaanui. Il mit d’abord sa patte dont l’empreinte reste encore visible de nos jours, se hissa en dehors de la mer jusqu’à la terre ferme, se secoua. Les poissons tombèrent de son corps.
Empreinte de Makaiaanui à Haapapa. Photo heitaa-felimataohu
Il entendit toujours la voix de son maître qui appelait, il s’y dirigea en passant par le col dit Te Avaiteàki, c’est un passage tellement étroit qu’on a de la peine à passer. Alors Makaiaanui l’élargit d’un coup d’épaule. La tribu d’Atipapa entendit ce grand bruit. Akauì appela de nouveau :
« Makaiaanui e, a heke mai, a heke mai, a heke mai.
Makaiaanui, descends, descends, descends jusqu’ici. »
Cuit dans le four de Kiikiipukea
Se tournant vers Toaetini, il lui demanda : « Fais un trou dans la terre pour le four. Les gens creusèrent, mais le trou était trop petit. De nouveau, il se tourna vers eux et leur dit : « Faites un trou de 7 brasses de long, et de 3 brasses de large. Les gens de la tribu d’Atipapa creusèrent encore, mais étaient effrayés par le bruit qu’ils entendaient dans la brousse.
La population fut stupéfaite par ce cochon. Toaketini eu honte de voir son mana impuissant devant Akau’i.
Akau’i dit alors : « Hé Makaiaanui, meurs ! »
– « Hum » fit Makaiaanui.
On attacha alors Makaiaanui par le groin avec l’étoffe de mûrier, et Makaiaanui mourut. On le fit cuire dans le four de Kiikiipukea. Akau’i dit alors à Toaetini : « Voici, l’ami, un véritable cochon. Il n’est pas comme le tien et ces têtes de cochons où ont poussé les fougères, dont on obtient de nouveau des cochons quand on les met au four ! »
Quand Makaiaanui fut cuit, la population toute entière en mangea sans arriver à le finir. Depuis, il reste encore de la graisse sur les pierres. Lorsqu’elles sont brûlantes sous l’effet du soleil, la graisse suinte.
Le saviez-vous ?
Autrefois les gens fixaient des poils de cochon à leurs leurres pour attraper la bonite. Ils se souvenaient des bonites qui s’étaient prises et emmêlées dans les poils de Makaiaanui…
Photo : Leurre moderne avec des poils de sanglier.
Sources :
d’après la légende de Makaia’anui racontée par André Teikitutoua traduite par Henri Lavondès – Ua Pou “Iles Marquises. Extrait du Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes N° 151, 1965
Heitaa Félicienne Hiva Oa , la légende de Makaiaanui
Photos d’illustrations (Swimming pigs in the Bahamas)