Dans l’une des deux chutes de la cascade de Vaihi à Fa’aone se cache un puna ature, une pierre magique qui a l’étonnant pouvoir d’orienter la direction des poissons. Simone Hargous, qui fut enseignante à Fa’aone de 1955 à 1959, nous raconte l’histoire de ce talisman.
A Fa’aone, au PK 50 environ, se trouve la propriété Ahnne qui s’étend de la crête à la mer. La route de ceinture passe par le milieu du terrain. Du côté montagne, à environ 50 mètres de la route, un sentier conduit dans un merveilleux décor. Dans ce lieu, on découvre la cascade de Vaihi, formée de deux chutes abondantes bien distinctes. C’est dans l’une de ces chutes que se cache un puna ature.
A l’époque (1955) seule, Tearopa, la gardienne de la propriété de Maurice Gilet, détenait le secret de ce talisman.
Un secret transmis de mère à fille
De 1955 à 1959, Tani et moi avons enseigné à l’école publique de Fa’aone. Nous habitions chez « Mama Rere » (Mme Gilet) qui avait une immense propriété, juste en face de l’école. Tapapa, le mari, et Tearopa, la femme, étaient les gardiens de la propriété. C’étaient de braves gens qui nous gâtaient et surtout qui nous racontaient de merveilleuses histoires concernant la culture polynésienne.
Tearopa nous confie qu’un soir, elle voit sa mère, alors décédée, venir vers elle et lui dire discrètement :
Ma fille, j’ai une mission à te confier, c’est à ton tour de tenir le rôle que je détenais lorsque j’étais en vie. Promets-moi que, tant que tu seras de ce monde, tu ne livreras jamais le secret de la place du talisman, même à tes proches.
Viens, allons à la cascade Vaihi.
Elles s’y rendirent. La mère lui dit :
Regarde là, sous l’une des deux chutes, tu trouveras le puna ature* qui, depuis des décennies, est la propriété de notre famille. Ce puna doit rester en ce lieu, même quand tu lui changeras son orientation.
Voici comment tu l’utiliseras : lorsqu’un banc de ature sera en vue au large et que tu voudras pêcher le poisson, vite, tu iras discrètement au puna et tu l’orienteras : tête côté montagne, queue côté large et tu verras !
La pêche téléguidée au puna ature
A cette époque, de nombreux propriétaires de filets pêchaient à Fa’aone. A la saison des ature (Chinchard) , le poisson pullulait. C’était au plus hardi arrivé sur les lieux que le poisson revenait. Des clans se formaient et des cris fusaient.
Deux grands propriétaires de filet : Jean Lucas de Fa’aone et Afo de Flitia’a (le livreur de pains dans le secteur) se faisaient constamment la guéguerre pour savoir qui le premier avait perçu le banc de poissons et qui devait le capturer.
Les pêcheurs les premiers prêts partaient sur les lieux ; ils étaient aussitôt rejoints par un deuxième groupe. Les pirogues se dépêchaient, s’entrecroisaient, le banc se dispersait et le poisson prenait la fuite…
Arture ou Chinchard (Selar crumenophthalmus)
Tearopa, voyant ce manège se répéter, pensa à sa mère, prit à part Jean Lucas pour lui confier le secret de la pêche téléguidée au puna ature.
Depuis, lorsqu’un banc de ature était perçu au large de Fa’aone, si des pêcheurs de ature autres que Mr Lucas se précipitaient pour poser le filet sur les lieux « ‘Ua topa te ‘upe’a » comme ils disaient, le poisson, alors capturé en partie, bizarrement, trouvait un moyen pour prendre la fuite ! « ‘Ua ora te i’a », criaient désespérément les plongeurs. « E mea maere mau ! ».
Pendant ce temps, Jean Lucas se tapait des pêches miraculeuses : 2.000 paquets de poissons par prise. Souvent, le poisson pêché en grande quantité était placé dans un pâpare (cage dans la mer) pour le réserver à la vente du lendemain ou du surlendemain.
Tearopa nous a quittés. Le puna est resté secrètement à sa place sous la cascade de Vaihi à Fa’aone. Peut-être reviendra-t-elle un jour pour choisir son successeur ?
Ofai puna
*Une pierre puna ou ofai puna est une pierre basaltique ayant la forme et la taille d’un poisson. Cette pierre était généralement posée dans un grand umete (récipient) en pierre, un peu comme l’aiguille d’une boussole. Elle avait le pouvoir de diriger les bancs de poissons qui suivaient la direction qu’indiquait la tête de l’ofai puna.
Cette pierre était la propriété d’une famille qui la gardait jalousement dans un lieu secret. Seul un membre de cette famille pouvait en faire usage.
Ofai puna. Collection Musée de Tahiti et des îles
Découvrez d’autres histoires de pierres dotées de mana (pouvoir) dans notre rubrique : pierres manamana de Tahiti et des îles
Sources :
Histoire vécue, racontée par Simone Hargous (enseignante à Faaone de 1955 à 1959 et académicienne) recueillie par Olivier Babin
Service des ressources minières et marines de Polynésie Française : Poster Ature