Cette vieille légende était chantée lors des cérémonies de tatouage, au rythme du maillet s’abattant sur le peigne de tatouage. Elle raconte comment les dieux ont mis un tabu (interdit) sur les sacrifices humains en les remplaçant par le tatouage.
Dans les temps les plus anciens les dieux habitaient sur terre au milieu des humains. Un jour, ils décidèrent d’aller vivre dans les cieux. Les hommes s’agitèrent, crièrent, hurlèrent, pleurèrent et finirent par dire aux dieux :
– Ne nous quittez pas, comment pourrions nous vivre sans vous ?
– Ne craignez rien ! Répondirent-ils. Quand vous voudrez nous appeler, faites parler votre sang. Il suffira de quelques gouttes en prononçant nos noms !
Sur cette promesse, les Dieux s’en allèrent dans les cieux, laissant les humains vivre leur vie sur la Terre qui est si belle !
Faites parler votre sang
Hélas, très vite les hommes furent confrontés à trop de problèmes qu’ils ne pouvaient résoudre et ils en vinrent à se disputer. C’était comme s’ils ne parlaient plus la même langue. Ils étaient devenus des inconnus les uns pour les autres et cela amplifiait leur courroux.
Longtemps après, alors que croissaient et se multipliaient les conflits entre eux, ces hommes qui cherchaient des réponses à leurs questions se souvinrent du pacte passé avec les Dieux. Pour se rappeler à eux, sur toute la Terre ils firent des sacrifices humains, implorant les Dieux de leur donner plus de vie, plus de force, plus de pouvoirs.
Des flots de sang coulèrent sur les pierres de sacrifice des marae, rougissant la terre. Dans le même temps, les noms de chacun des Dieux résonnaient dans ces suppliques qui montaient au ciel.
Les dieux redescendent parmi les hommes
Devant tant de violence et d’excès, ces derniers descendirent rapidement sur Terre pour rassurer les humains.
De retour parmi les hommes, leurs voix tonnèrent comme jamais aucun son ne l’avait fait dans le passé : Assez de ces massacres ! Vos suppliques et quelques gouttes de sang versées suffisent à vous faire entendre !
Leurs paroles résonnèrent longtemps sur la Terre et un puissant tapu (interdit) fut décrété sur les sacrifices humains.
Ayant institué cet interdit inviolable, les Dieux accordèrent aux hommes leur pardon et répondirent à leurs prières. Puis ils s’en retournèrent, accompagnés de louanges et d’offrandes, dans le firmament.
La fin des sacrifices humains
Le temps passa et les hommes retrouvèrent la paix. Hélas temporairement !
De nouvelles querelles divisèrent bientôt les humains. La mésentente s’installa de nouveau et il fallut rappeler les Dieux pour savoir qui avait raison, qui était le plus fort ou le plus beau, qui serait le chef, si la pêche serait fructueuse et qui serait victorieux à la guerre contre le clan voisin.
Les hommes prièrent alors très fort. Pour être sûrs d’être entendus des Dieux, ils immolèrent une multitude d’animaux. Des nuées d’oiseaux, d’immenses bancs de poissons et des troupeaux entiers furent sacrifiés. Ce fut un véritable carnage.
Le tatouage, qui fait perler le sang
C’est à ce moment là qu’une longue et sourde plainte commença de s’élever vers les dieux : les animaux demandaient justice à leurs dieux tutélaires. Ceux-ci redescendirent donc sur Terre.
Quand ils virent l’hécatombe, leur colère fut terrifiante : les hommes avaient massacré la presque totalité du monde animal. Le ciel, les eaux des mers et la surface de la Terre ressemblaient à un désert. Ils réunirent tous les humains de toutes les îles et renouvelèrent l’alliance, le pacte du sang :
Tout homme qui versera quelques gouttes de son sang en nous implorant, celui-là sera écouté.
Depuis ce temps-là, chaque fois qu’un humain se tatoue, qu’il fait perler du sang sur sa peau, les Dieux s’approchent de lui pour écouter sa prière.
Légende traditionnelle de Tahiti collectée par Richard Lévy-Bossi lors d’une séance de tatouage.
Sources :
Les légendes du tatouage. 2008. Textes réunis par Richard Lévy-Bossi. Coll. Les Archives de l‘Eden Tahiti.
Illustration : Représentation d’un sacrifice humain dans un morai à Otaheite en présence du capitaine Cook et de ses officiers, Le Costume Ancien et Moderne de Giulio Ferrario, 1827