La légende de Pereitai, raconte les amours interdits entre Pereitai, la fille du roi et un jeune homme qui n’était pas de sang royal et comment, avec l’aide des ancêtres le jeune homme a pu surmonter les interdits et épouser la princesse. Elle explique l’origine du nom du district de « Punaauia » à Tahiti, qui s’appelait autrefois Hiti puis Mano-Tahi.
La princesse Pereitai
Dans des temps très anciens, vivait à Faa’a une belle princesse qui se nommait Pereitai. Elle allait souvent se baigner dans l’eau calme du lagon et se prélasser sur le fin sable blanc à l’ombre des cocotiers. Elle assistait aux parties de pêche et c’est ainsi qu’elle rencontra son premier amour, Temuri.
Le beau Temuri
Sur les pentes des collines de Fautau’a à l’Est de Papeete, vivait le beau Temuri, de bonne famille mais pas de sang royal. Il était un passionné de pêche et connaissait tous les secrets qu’un habile pêcheur se doit de savoir. Un jour, son père lui offrit un nouvel hameçon taillé dans la nacre d’un rare et précieux coquillage.
– Mon fils, je te prédis une pêche fructueuse. En plus des plus beaux poissons, cet hameçon t’apportera joie et bonheur.
Temuri ravi par le cadeau de son père rejoignit le bord de mer, le coeur léger. Il avait revêtu pour l’occasion un pagne de tapa brun drapé autour de la ceinture et laissant apercevoir les élégants tatouages, ainsi qu’un chapeau fait de feuilles de cocotier tressées.
Il se posta au bord du récif et lançant son hameçon irisé le plus loin qu’il pût, il attendit qu’un poisson vienne s’y prendre. Il vit approcher un banc de mulets, mais le poisson ne mordait pas. Il suivit les poissons le long du rivage jusqu’à une petite baie de Faa’a.
Temuri recommença à pêcher, cette fois-ci avec succès. C’était une pêche miraculeuse, comme le lui avait promis son père.
Ancien hameçon en nacre des iles de la Société
La naissance d’un amour
Il aperçut la princesse et quelques compagnes qui préparait un repas en le regardant pêcher avec bienveillance. Troublé, il se retira en toute hâte, mais fut rejoint par un messager qui le pria de venir partager le repas. Il accepta et apporta des plus beaux poissons qu’il avait attrapés. La journée passa agréablement et Temuri prit congé de la princesse avant le coucher du soleil. La fille du roi ravie de leur rencontre lui demanda en rougissant légèrement de revenir le lendemain pour un autre festin. Il accepta et rentra chez lui le coeur léger.
Le lendemain, la petite troupe se rassembla de nouveau sur la plage et Temuri pêcha pour satisfaire tout le monde. La journée passa, ponctuée de chants, de danses et de toutes sortes de jeux que les jeunes gens aiment pratiquer quand ils se sentent libres et heureux. Puis le jour d’après, puis d’autres jours encore se succédèrent dans la joie et le plaisir d’apprendre à se connaître.
Au bout de quelque temps, Pereitai et Temuri ne pouvaient plus se passer l’un de l’autre. Ils décidèrent de se marier pour ne plus avoir à se quitter chaque soir.
Le refus des parents de Temuri
Temuri rentra chez lui le coeur en fête pour annoncer ses noces prochaines avec la princesse Pereitai. A cette nouvelle, son père le regarda avec douceur et tristesse et dit : – Le mariage entre une princesse de sang royal et un homme du peuple est impossible, mon fils.
– Que faut-il faire pour rendre ce rêve réalisable ? demanda Temuri.
– Il faudrait que tu accomplisses une action méritante, un exploit prodigieux qui reste gravé dans la mémoire des hommes.
Ensuite son père lui dit : – Mon fils, il faut renoncer à cette jeune fille. La colère du roi sera terrible quand elle s’abattra sur toi, et tu seras toujours un fugitif vivant dans la peur d’être attrapé et offert en sacrifice aux Dieux. Mais la colère du roi ne s’arrêtera pas là. Sa vengeance s’abattra sur ta famille et même ton village. Je t’interdis à présent de la revoir sous peine de nous mettre tous en danger de mort !
L’accueil de la famille royale
Au même instant, Pereitai elle aussi annonçait à ses parents qu’elle allait se marier avec Temuri. Entendant cela, son père, le roi, regarda avec indulgence son enfant et lui dit d’une voix douce :
– Ma fille, tes Ancêtres étaient des Dieux et des Héros. Tu ne peux t’allier avec un homme du peuple, un homme sans mana, c’est enfreindre un grand tabu !
– Mais comment les dieux peuvent-ils accorder du mana à un homme ?
– Celui-ci doit accomplir une action d’éclat, un acte important qui le couvrira de gloire et pour lequel son nom sera récité dans les chants sacrés et mentionné dans les légendes.
Puis le roi dit fermement à Pereitai : – Je ne veux plus que tu rencontres ce garçon. Tout rapport avec lui est une insulte à nos Grands Ancêtres et risque de nuire au mana de notre descendance !
A ces mots Pereitai se mit à pleurer à chaudes larmes et eut la sensation de basculer dans un abîme sans fond, de tourbillonner dans un gouffre infini
L’amour interdit
Le lendemain, bravant les interdits de leurs parents, les jeunes amoureux se rencontrèrent sur la plage où ils avaient rendez-vous. Ils prirent la décision de lutter contre l’injustice qui les séparait. Ils décidèrent de s’enfuir loin de chez eux pour vivre heureux et sans contraintes.
Temuri alla demander de l’aide à ses amis et ceux-ci acceptèrent de l’emmener sur l’île de Huahine. Là, déguisés en pêcheurs, ils furent accueillis et hébergés dans un petit village au bord du lagon.
La vie s’écoulait tranquille, en harmonie avec la nature. La journée, Temuri qui s’était taillé une pirogue dans un tronc d’arbre aidait les hommes à la pêche, fabriquait pour eux des hameçons et des pièges. Il dressait les chiens pour leur apprendre à rabattre le poisson vers les nasses ou plongeait la nuit le long du récif pour attraper les langoustes. Pereitai participait aux travaux des femmes, à l’éducation des enfants, dansant et chantant devant eux et le soir venu leur contant les légendes des anciens temps. La nuit, les jeunes amoureux se racontaient leurs rêves, parlaient de leurs désirs et faisaient des projets pour l’avenir.
Mais quand on est fille de roi, il est difficile de rester cachée. Tous les habitants du district avaient bien senti que cette jeune fille était d’une grande noblesse et avait reçu une éducation raffinée. Bientôt toute l’île ne parlait plus que de la présence d’une voyageuse de grande qualité et de son noble compagnon.
Un matin au réveil, Pereitai se pencha sur l’épaule de Temuri et lui dit : « J’ai rêvé que trois oiseaux noirs volaient vers nous amenant derrière eux de lourds nuages rouges emplis d’éclairs qui déchiraient le ciel. Cela n’est pas un présage de paix ! »
Les guerriers à la recherche de la fille du roi
Temuri connaissait les dons de prédiction de sa bien-aimée. Il comprit que le danger était imminent quand il vit trois grandes frégates dans le ciel tournoyant au dessus de leur cachette. Les guerriers envoyés à leur recherche par le roi de Faa’a, le père de Pereitai, seraient là d’un instant à l’autre.
Il fallait fuir rapidement en pirogue vers un endroit plus secret. Le refuge le plus sûr serait sur Raiatea, l’île sacrée, là où séjournaient les dieux et les grands-ancêtres. Un fort vent se leva, gonflant la voile et faisant bondir la pirogue sur les vagues. Le frêle esquif semblait partager la douleur des amants poursuivis. Il tremblait et frémissait à chaque rafale, mais maintenait fermement son cap.
Temuri trouva un endroit propice sur la plage pour les accueillir. La Lune se leva et éclaira les yeux emplis de larmes de Pereitai. Temuri l’enserra tendrement dans ses bras et en la berçant lui dit : – Pereitai, ne crains rien. Nul ne pourra briser nos rêves d’amour. Nous reviendrons voir nos parents pour sceller notre union. Ton père sera honoré par notre alliance, et notre descendance nous citera avec fierté dans sa généalogie !
– Oui Temuri, mes Ancêtres me sont apparus en songe. Ils peuvent nous aider, leurs conseils ont toujours été pleins de sagesse. Demain nous irons les retrouver.
Dans la nuit, Pereitai et Temuri firent un rêve prémonitoire : les grands oiseaux avaient retrouvé leurs traces et tournoyaient au-dessus d’eux.
Puis une lumière apparaissait dans ce sombre rêve, un oiseau d’un blanc immaculé s’adressait aux deux amants poursuivis :
– Venez dans la vallée de Faaroa, à la pointe Teora’a-otaha. C’est là que se tresse votre destin !
La rivière Faaroa à Raiatea
Temuri réveillé par un battement d’ailes sur la plage comprit que le majestueux oiseau blanc était un messager des dieux. Il prit Pereitai dans ses bras et suivit l’oiseau qui guida Temuri au sommet d’un énorme rocher surplombant la mer. Cet endroit était un merveilleux point de surveillance. Au même moment, le son vibrant des tambours annonça une nouvelle fois l’arrivée imminente des guerriers du roi chargés de les retrouver
Au royaume sous-marin des ancêtres
Mais un phénomène étrange se produisit. A leurs pieds, la mer se mit à s’agiter, un tourbillon se forma libérant l’entrée d’un long souterrain creusé dans les roches rouges du fond de l’océan.
Les dieux nous appellent ! s’écria Pereitai.
Temuri plein de courage et d’ardeur, serrant sa bien-aimée sur son coeur se précipita dans le vide et fut attiré par le puissant tourbillon. Etourdis par la force tourbillonnante qui les entraînait vers le centre du monde, les amoureux se laissèrent porter sans résistance vers leur destin. Quand ils reprirent leurs esprits, il leur sembla sortir d’un rêve merveilleux. Tout autour d’eux, dans une grotte sous-marine, leurs Ancêtres étaient rassemblés, le regard bienveillant et le sourire aux lèvres.
La grande conque Puiroroitau
En leur souhaitant la bienvenue, un Grand-Ancêtre tendit solennellement à Temuri un présent. C’était une conque, un magnifique coquillage qu’à Tahiti on nomme pu. Celui-ci était de très grande taille. Temuri prit la conque ainsi offerte et la porta à ses lèvres. Gonflant ses poumons, il joua une musique si mélodieuse que toutes les tempêtes du monde s’immobilisèrent pour l’écouter.
Temuri nomma son merveilleux instrument Puiroroitau, ce qui dans la langue tahitienne signifie : » Conque de dessous les rochers engloutis »
Triton shell trumpet, Conque marine servant de trompette, Pu toka – fin du 18è siecle. Bristish Museum
Chaque jour, Temuri se perfectionnait dans la maîtrise de la grande conque. Les sons qu’il faisait jaillir du coquillage suivaient les courants sous-marins et apaisaient les ouragans dans tous les archipels. Les tempêtes retenaient leur souffle en arrivant près des côtes de Tahiti pour mieux profiter des mélodies de Puiroroitau.
Temuri était devenu le maître des vents et des courants. Tous les pêcheurs de toutes les mers avaient entendu ces sons venus du fond de l’océan. Plus d’une fois il leur avait sauvé la vie en calmant les éléments déchaînés.
Les baleines aux chants si puissants et qui venaient chaque saison depuis des temps immémoriaux peupler les eaux accueillantes des archipels s’inspiraient des mélodies de Temuri pour leurs chants d’amour. Chaque jour, Pereitai et Temuri remerciaient les habitants du royaume sous-marin pour tous leurs bienfaits, leurs conseils avisés et pour les merveilleuses mélodies qu’ils leurs léguaient.
Le retour à Tahiti
La légende ne dit pas combien de temps les jeunes amoureux passèrent dans le royaume sous-marin de leurs Ancêtres, mais elle conte ainsi leur retour à Tahiti :
Un jour, Pereitai et Temuri firent le même songe. Un fort courant ascendant leur faisait rejoindre la surface de la mer et les déposait en douceur dans le creux d’une grande vague. Quand ils se réveillèrent ils virent qu’en réalité, ils étaient sur le récif de Manotahi, entre Paea et Faa’a sur l’île de Tahiti.
Une tempête faisait rage à la surface de la mer. Les vagues gigantesques frappaient le platier. L’air était vibrant et de grands éclairs déchiraient le ciel, suivis de coups de tonnerre assourdissants. Temuri porta la conque merveilleuse à ses lèvres et souffla le chant mélodieux qui apaise la colère de l’Océan. La tendresse infinie qui émanait de ce chant sacré dissipa les nuages et calma la houle. Les habitants et les pêcheurs qui s’étaient mis à l’abri de la tourmente montèrent sur leurs pirogues et vinrent à la rencontre du couple majestueux. Beaucoup reconnurent le pêcheur du district de Taunoa dont ils avaient tant de fois admiré le savoir-faire lorsqu’il pêchait. D’autres s’exclamèrent de surprise en reconnaissant la fille du roi de Faa’a qui avait si mystérieusement disparu et que son père avait cherchée pendant tant de temps.
L’accueil royal
Des messagers furent envoyés pour prévenir le roi Maheanu’u et la reine Moe que la princesse Pereitai était de retour.
Toute la maison royale de Faa’a fut invitée par Pohuetea le roi de Manotahi à célébrer dans son district les retrouvailles de ceux qui furent si longtemps séparés. Au cours d’une grande cérémonie, Temuri offrit la grande conque Puiroroitau au chef Pohuetea pour le remercier de son accueil.
Celui-ci pour célébrer cet événement donna au district de Manotahi le nom de Punaauia (E pū nā au ïa) qui signifie : » la conque est mienne « . L’instrument chargé de mana fut déposé au marae.
Les Dieux satisfaits accordèrent une brillante destinée à Pereitai, à Temuri et à leurs nombreux descendants. Le roi de Faa’a devant le prodigieux mana de Temuri lui accorda la main de sa fille et son royaume. Le petit pêcheur avait inscrit son nom dans la légende !
Pereitai et Temuri devinrent des souverains plein de sagesse. Ils régnèrent très longtemps et eurent une nombreuse descendance.
La conque Punaauia fut longtemps conservée au marae puis les dieux décidèrent qu’elle devait retrouver son océan natal et elle fut déposée dans un endroit secret, un tourbillon près de l’île de Mopelia. Les baleines viennent toujours chanter leurs chants d’amour dans le Grand Bleu autour des Archipels.
Une autre version de la légende de Punaauia
Dans une autre version, les deux amoureux furent surpris par un prêtre qui immola Te-muri sur un marae du district de Te-piha-ia-teta et et Pereitai se maria avec le fils du roi, à Raiatea. Mais elle n’était pas heureuse et se précipita avec son jeune frère Matairuapuna aux enfers.
Ayant découvert une magnifique conque le frère et la sœur apprirent bien vite à en tirer des sons mélodieux. Mais, après avoir séjourné une année au royaume des ténèbres, ils décidèrent de regagner le monde des vivants et, par un long tunnel, ils parvinrent sur la mer. Alors, le jeune homme appela à l’aide en soufflant dans sa conque et aussitôt les habitants de Mano-tahi se précipitèrent pour les secourir.
Afin de les remercier, Pere-i-tai et Matairuapuna offrirent au chef Pohue-tea cette merveilleuse conque, dont les dimensions dépassaient de beaucoup toutes celles que l’on avait vues dans l’île. Le chef, pour perpétuer cet événement, donna à son district le nom de Punaauia, ce qui veut dire : « la conque est mienne ».
Sources :
Teuira Henry . Tahiti aux temps anciens. Société des Océanistes. n°1
Origine du nom de Punaauia, racontée par M. Martial lors de la fête du folklore à Punaauia, en 1928, sur le marae de Taputapuatea de la Pointe des pêcheurs.
transcrite par E Ahnne. Société des Etudes Océaniennes bull. n°68 mars 1940 p 268