Le trois mats anglais, La Julia Ann, provenant de Sydney s’échoue le 2 octobre 1855 sur l’atoll inhabité de Scilly qui se trouve à 400 milles de Tahiti avec 56 personnes à bord. Cinq personnes meurent noyées dans l’accident, les survivants séjournent plus de deux mois sur cet îlot sans ressources avant d’être secourus.
Le trois-mâts barque Julia-Ann
Le Julia-Ann, un trois-mâts barque de 350 tonneaux, avait été construit par les chantiers J. Stetson en 1851 à Robbinston dans le Maine en Amérique du Nord. Les premières années il navigua entre la Nouvelle Angleterre et la Californie durant la ruée vers l’or, puis sillonna le Pacifique, de San Francisco et Sydney, pour transporter nourriture, matériel et mineurs pendant le rush australien.
Le navire quitte Sydney le 7 septembre 1855 sous le commandement du Capitaine Benjamin Franklin Pond, en route pour la Californie avec 56 âmes à bord dont de nombreux Mormons retournant à leur maison-mère à Salt Lake City. Comme à ses précédents retours d’Australie, le navire est chargé d’une cargaison de charbon de Newcastle. Vingt-sept jours plus tard, il percute l’atoll le plus à l’ouest des îles de l’archipel de la Société, approximativement à 400 miles à l’ouest de Tahiti.
« Hard down the Helm »
Le capitaine Pond était descendu dans sa cabine depuis une demi-heure lorsqu’il entendit ce terrible cri d’alarme. Pourtant, en cette fin de journée, il avait pris toutes les précautions d’usage en cas de navigation dans une zone dangereuse où de surcroît les cartes sont imprécises : durant la journée l’allure avait été augmentée pour sortir le plus rapidement de la proximité des îles basses, la vigie avait été renforcée et mise en alerte. Quand il s’était retiré pour profiter d’un repos nécessaire après plusieurs jours de mer pénibles, le capitaine s’était assuré que la voie était libre devant le navire.
Aussitôt sur le pont, il put s’apercevoir de l’effroyable situation : le Julia-Ann a frappé violemment un récif submergé, aucune terre n’est en vue, pas un seul rocher découvert. Le capitaine réalise rapidement qu’il n’y avait plus aucun espoir pour le bateau. La panique est générale à bord alors que les secours s’organisent tant bien que mal. Il est 21 heures le 3 octobre 1854, le naufrage a eu lieu dans la partie sud de l’atoll de Scilly.
Au cours du naufrage, deux femmes et trois enfants perdirent la vie malgré les efforts de l’équipage pour évacuer les passagers vers le platier au-delà des brisants à l’aide d’une noria improvisée avec des cordes. Sous les coups de boutoir, la coque s’ouvrit en deux et se vida de son chargement. La partie avant du navire allégée de sa cargaison monta par-dessus l’obstacle. Vers 23 heures, tous les rescapés avaient été débarqués.
Deux mois sur cette île déserte
Deux jours durant, les 51 survivants restent sur le récif accrochés à des radeaux de fortune où ils ne pouvaient pas tous prendre place, sous un soleil tropical, sans pouvoir boire ni manger jusqu’à la découverte d’un îlot distant de 10 miles du lieu de l’accident. Les naufragés s’y installent et y organisent leur campement. La nature y était “généreuse” avec des noix de coco, des mollusques et crustacés, des poissons, des crabes, mais le menu était aussi agrémenté de requin et de tortue. De l’eau “buvable” avait été trouvée par un jeune garçon qui en creusant le sable avait atteint la nappe phréatique. Des graines de potirons, de petits pois et de haricots sauvés de l’épave sont plantés dans un potager avec un succès limité.
Se libérer de cette captivité
Ayant trouvé des moyens de subsistance, l’objectif suivant du capitaine Pond est de se libérer de cette “captivité”. Tout ce qui peut être récupéré dans la carcasse de l’épave est utilisé pour la réalisation d’une embarcation et une forge improvisée permet la fabrication de clous. En cinq semaines le bateau est construit.
Mais où aller pour chercher du secours : aux îles de la Société à 400 miles à l’Est ou aux îles Cook à une distance de 1 500 miles au sud-ouest? Dans le premier cas le vent contraire et dans le second cas la trop grande distance pour l’embarcation rendait le choix difficile. Les conditions climatiques n’étaient favorables ni à l’une ni à l’autre solution. Il fallait donc attendre. Cette attente faillit être fatale au projet car, par une nuit de grand vent, l’embarcation par laquelle devait venir leur salut rompit ses amarres et disparut ! Par chance, elle fut retrouvée échouée de l’autre côté du lagon plein d’eau mais sans avarie.
Le temps montra des signes de changement et la huitième semaine après le naufrage, le vent se mit à souffler en rafales du nord-ouest. La décision fut aussitôt prise de rejoindre les îles de la Société. Toutes les personnes valides tirèrent l’embarcation sur 8 miles et la portèrent sur deux cents yards pour atteindre le point d’embarquement choisi. Le capitaine Pond et son équipage de 9 hommes ramèrent vers l’Est, sans que la moindre brise vienne gonfler la voile du canot.
Le soir du 3è jour d’efforts, exténués, sous l’emprise du désespoir, les hommes se reposaient sous la bâche tirée au-dessus de l’embarcation pour se protéger de la pluie. Quand l’un d’eux cria : “terre, terre” en soulevant la toile de protection. Dans le sud-est à 15 miles apparaissait le contour d’une crête montagneuse : c’était Bora-Bora.
Les rescapés de La Julia-Ann arrivent à Papeete
Deux jours plus tard, la goélette américaine Emma-Parker arriva de Raiatea pour secourir les naufragés du Julia-Ann sur ordre du Consul britannique qui avait été alerté par les habitants de Bora-Bora. Dix jours après avoir laissé leurs compagnons d’infortune, le capitaine Pond embarqua tous ceux qui étaient restés sur l’atoll à destination de Papeete à Tahiti où les consuls américains et britanniques les prirent en charge.
Le journal « Messager de Tahiti » du dimanche 23 décembre 1855 évoque l’arrivée des rescapés à Papeete :
On se fait difficilement une idée des souffrances que ces malheureux ont dû supporter. C’était un spectacle navrant que celui de ces malheureux au nombre desquels on compte dix femmes, quatorze enfants et parmi ces derniers quelques orphelins dont les parents ont péri dans le désastre. Un bon nombre est resté pendant près de deux jours à bord de la goélette accostée au quai ; ils étaient à peine vêtus, et leur dénuement les empêchait de descendre à terre avant d’avoir reçu des secours. Heureusement la charité publique s’est promptement organisée et quelques personnes bienfaisantes ont pu avec l’aide du gouvernement faire face aux premiers besoins de ces infortunés et leur assurer le gîte et la nourriture ; on a même distribué des vêtements aux enfants.
A la recherche des vestiges du Julia-Ann
L’histoire de cette recherche débute en 1994 lorsque Paul Hundley archéologue à l’Australian National Maritime Museum de Sydney prend connaissance d’un livre où Benjamin Franklin Pond, capitaine du Julia-Ann, retrace le naufrage du navire. Au mois de décembre 1995, Paul Hundley contacte le Service de la Culture et le Groupement de Recherche en Archéologie navale en Polynésie (GRAN) pour entreprendre la recherche des vestiges du Julia-Ann.
Grâce aux indications des habitants de l’atoll, le site qui est vraisemblablement celui du naufrage du Julia-Ann est localisé au Sud de l’atoll. Sur le récif plusieurs vestiges provenant d’un naufrage avaient déjà été repérés voire récupérés par les habitants : une ancre à jas de bois de 245 cm qui a été dégagée du corail depuis longtemps par les habitants et transportée devant une maison pour servir d’amarrage pour leur embarcation, un cabestan et une seconde ancre située à l’extérieur du récif.
Ancre à jas de bois provenant du site du naufrage du Julia Ann récupérée par les habitants de Scilly.
Sources :
Robert Veccella, Le naufrage du Julia Ann en 1855 sur l’atoll de Scilly et la recherche archéologique subaquatique des vestiges, Société des Etudes Océaniennes. bull. n° 292/293 janvier/juin 2002, p.26
The Unbelievable True Story of Shipwrecked Saints on Their Way to Zion.
Benjamin Franklin Pond, 1858, Narrative of the wreck of the barque Julia Ann in the South Pacific Ocean. Two month’s residence of the survivor on a barren coral reef, and providential escape therefrom, Esq. New York 1858, 36 p.